Le piranha occupe une place bien particulière dans l’imaginaire culturel occidental, comme l’icône d’une menace fantasmée. Sans vouloir « sauver le piranha », on peut tenter de l’insérer dans un monde plus vaste que lui, à sa place dans des dynamiques objectives et des chaînes réelles d’interdépendance.
La vision que l’on a en France de ces poissons des rivières amazoniennes est souvent exagérée et dramatisée, car très influencée par des œuvres de fiction comme L’Oreille cassée. Dans cette bande dessinée d’Hergé Tintin tombe dans une rivière infestée de piranhas (représentés comme de petits poissons de couleur rouge) qui se jettent immédiatement sur lui et sur Milou, ce qui a établi pour des générations d’enfants leur image de prédateurs voraces.
Figure 1 Les piranhas attaquent Tintin et Milou dans l’Oreille cassée
Source : Hergé, L’Oreille cassée, Casterman, Paris – Tournai, 1937 (noir et blanc) et 1943 (couleurs)
En réalité la plupart des espèces de piranhas sont frugivores ou phytophages, se nourrissant principalement de graines et de végétaux, ils ont un rôle important dans leurs écosystèmes, contribuant à la décomposition des matières organiques et au maintien de l’équilibre des écosystèmes aquatiques.
Seules quelques espèces comme le piranha à ventre rouge (Pygocentrus nattereri) sont carnivores et peuvent attaquer en bancs. Le plus puissant d’entre eux est le piranha noir (Serrasalmus rhombeus), qui vit dans les bassins de l’Amazone et de l’Orénoque, dans le nord et de l’est du plateau des Guyanes, ainsi que dans des cours d’eau du Nordeste du Brésil. Il peut atteindre une taille maximum de 50 cm et un poids de 3 à 4 kg et les muscles de sa mâchoire sont démesurés par rapport à sa taille. Cela lui permet d’exercer une force de morsure équivalant à 30 fois son poids corporel, un exploit inégalé dans le monde animal.
Figure 2 La mâchoire du piranha
Source: Hervé Théry 2005
Les piranhas ne sont pourtant pas au sommet de la chaîne alimentaire, ils ont eux-mêmes des prédateurs, notamment les dauphins d’eau douce, les loutres et de grands carnassiers comme les caïmans, qui profitent des moments de leur vulnérabilité, notamment pendant la saison sèche où les niveaux d’eau sont bas et où ils sont donc plus faciles à attraper. Des rapaces comme les hérons peuvent également s’attaquer à eux lorsqu’ils remontent à la surface.
Le plus impressionnant est toutefois le Tétra vampire (Hydrolycus scomberoides), qui vit dans les bassins de l’Amazone et de l’Araguaia-Tocantins, appelé Payara en Amérique du Sud hispanophone et Peixe-cachorro (poisson-chien) au Brésil. Il peut mesurer jusqu’à 120 cm et peser 19 kg, et se caractérise par deux longues dents à la mâchoire inférieure pouvant atteindre de 50 à 60 mm de long. Elles sont si grandes que la mâchoire supérieure présente deux trous pour les accueillir lorsque la bouche est fermée
Figure 3 Le Tétra vampire (Hydrolycus scomberoides)
Sources: 1: BHUPGX0CEAAX7Gc.jpeg, https://www.buzzfeed.com/fr/daves4/17-photos-de-gueules-danimaux-qui-sont-clairement-la-porte. 2: Payara pescada por Cristian Vanegas en el Orinoco (13) (1).jpg, https://vtichthyology.blogspot.com/2016/12/payara-what-big-teeth-youve-got-by-don.html. 3: peixe-cachorro.jg, https://naturezaanimal.com.br/peixe-cachorra/
C’est un poisson piscivore (il se nourrit d’autres poissons) qui s’attaque à des proies relativement grandes, atteignant parfois 40 à 50 % de sa longueur totale. Il tend généralement des embuscades à ses proies derrière des branches, des arbres et des rochers sur les berges[1].
Grâce à sa taille et à ses dents proéminentes, il est capable s’attaquer aux piranhas, les deux espèces partagent les mêmes habitats dans les rivières et les lacs d’Amérique du Sud, ce qui augmente les chances d’interactions entre elles. Les piranhas peuvent se défendre en groupe, mais un Hydrolycus scomberoides adulte est généralement plus grand et plus puissant, ce qui lui donne un avantage dans les confrontations directes.
Le Tétra Vampire a cependant lui-même un prédateur encore plus redoutable, Homo sapiens…
Figure 4 Le Tétra Vampire et ses prédateurs
Sources: 1: How-To-Care-For-Your-New-Vampire-Tetra-Hydrolycus-scomberoides-Diet-Feeding-Breeding-More.jpg, https://aqualandpetsplus.com/vampire-tetra/. 2: EcoLodge_Fishing.jpg, https://www.theflyshop.com/travel/payara.html. 3:Hydrolycus scomberoides w Zeb hogan.jpg, https://vtichthyology.blogspot.com/2016/12/payara-what-big-teeth-youve-got-by-don.html
À vrai dire l’homme est aussi le pire prédateur des piranhas puisqu’il ne les pourchasse que rarement pour se nourrir, mais plus souvent pour en faire des souvenirs à vendre aux touristes.
Figure 5 Piranhas séchés
Source: Hervé Théry 2025
Une fois capturés les piranhas sont séchés ou diaphanisés, un mode de préparation qui consiste à teinter le squelette ou les cartilages d’un spécimen tout en rendant les muscles translucides.
Figure 6 Piranha diaphanisé
Source: Hervé Théry 2010
Il arrive même que dans des excursions les piranhas, tout juste pêchés par les touristes, soient jetés en pâture aux caïmans.
Figure 7 Piranhas pêchés par les touristes jetés aux caïmans
Source: Hervé Théry 2010
Une autre raison qu’ont les hommes de s’attaquer aux piranhas a donné naissance à une expression courante en portugais du Brésil, « boi de piranha » (bœuf à piranha).
Lorsque des vaqueiros (l’équivalent brésilien des cowboys) devaient faire traverser à un troupeau une rivière qui en est infestée, ils choisissaient l’animal le plus vieux et le plus faible, l’égorgeaient et le jetaient à la rivière. Ils prenaient soin de le faire bien en amont, pour que son sang attire les piranhas loin du reste du troupeau et que celui-ci puisse traverser sans risque même si quelques bêtes blessées saignaient dans l’eau. Para analogie « bœuf à piranha » est devenu synonyme de « bouc émissaire », c’est-à-dire quelqu’un qui est sacrifié au profit d’autres personnes.
Malgré tout, on ne peut s’empêcher de rêver à ce que peut être une attaque de piranhas par un tétra vampire. Comme il est évidemment difficile d’assister à ce genre de scène, qui se déroule sous l’eau de lointains cours d’eaux amazoniens, nous avons eu recours aux possibilités que nous offre désormais l’intelligence artificielle génératrice d’images.
Nous avons donc donné à l’application Copilot une première demande (prompt) : « Un Tétra vampire (Hydrolycus scomberoides) attaque des piranhas ». La réponse – presque instantanée et avec plusieurs variantes – a été un peu décevante et nous l’avons donc précisée en renvoyant « Un Tétra vampire (Hydrolycus scomberoides) attaque des piranhas, qui paraissent effrayés et essaient .de fuir. Ses dents et celles des piranhas sont bien visibles. Style photo ».
Le résultat est la figure 8, ci-dessous, assez évocatrice, même s’il manque les immenses dents inférieures du Tétra vampire. Peut mieux faire…
Figure 8 Un Tétra vampire (Hydrolycus scomberoides) attaque des piranhas
Source: Copilot 2025
[1] Froese, Rainer; Pauly, Daniel, Hydrolycus scomberoides, https://www.fishbase.org/summary/Hydrolycus-scomberoides.html
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Braises (2 avril 2025). Même les piranhas ont des prédateurs. Braises. Consulté le 20 avril 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13mps